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Bloody Prophecy
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11 mars 2013

Chapitre 2 : Une rencontre inévitable, qui marqua le premier jour du reste de ma vie

De mémoire d’homme, le Royaume de Logarià était constamment  en guerre. En guerre contre des envahisseurs extérieurs, en guerre d’indépendance, ou en guerre, contre lui-même. Parfois, même le peuple ignorait l’état de guerre. Ce n’était pas le cas cette fois.

 

A l’époque où commence cette histoire, la guerre était bien déclarée. Elle rongeait le pays, comme une gangrène. Elle se situait à tous les niveaux. Dans la Plèbe, comme chez les Nobles. Mais il ne me semblait pas que quelqu’un connaisse la raison exacte du conflit.

 

La seule chose que je savais, moi, Mira, c’est que j’étais condamnée à mourir.

 

Les Sages disent que nous avons tous un but dans l’Existence, une place à tenir. Que nous appartenons à un ensemble, qui s’appelle l’Univers. Ma place, s’il en était une, semblait être celle par qui la mort viendrait à résoudre l’ensemble des problèmes du pays. Parce que moi, Mira, j’étais supposée être une sorcière. On me prêtait la mortalité infantile, la pauvreté, les épidémies, la folie de nos dirigeants.  Moi, Mira, fille aux cheveux de feu et aux yeux dissociés, je ne pouvais être qu’une enfant maudite. Et en tant que bonne enfant maudite, je fuyais mon destin, par tous les moyens. Le destin prenais parfois l’apparence de plusieurs hommes casqués en armure, qui me traquaient jusqu’au fond de la forêt où je me cachais. Pour autant que je m’en souvinsse, ma vie n’a cependant pas toujours été ainsi. Je me souvenais de bains parfumés, de vêtements propres, de livres reliés de cuir. Je me souvenais aussi d’une famille aimante, et de bons petits plats qui mijotaient, de fruits chapardés sur la table de la cuisine.

La seule contrainte qui m’était  imposée était celle de ne pas sortir. De ne pas montrer au monde mon visage. Ou alors, mes cheveux roux étaient voilés, et mon regard tourné vers le sol.

 

Cette mascarade dura 14 ans. Jusqu’au jour où le roi, voulant redorer sa notoriété, entama une grande battue aux sorcières et autres créatures malfaisantes. La maison de mes parents fût perquisitionnée, des Soldats me trouvèrent. Mon père offrit sa vie pour la mienne, j’eu le temps de fuir, dans la vaste forêt où je vis encore aujourd’hui. Il ne me fait aucun doute que mes parents furent condamnés à la torture jusqu’à ce que mort s’en suive, pour haute trahison.

 

Je n’ai plus jamais eu de contacts, avec aucun être humain. J’avais 16 ans alors, mais j’avais perdu, depuis longtemps, la notion du temps. Je vivais de cueillette, principalement, et d’un peu de chasse, quand un petit lapin se prenait dans un de mes collets, ou qu’un saumon s’égarait dans mon filet. Je me soignait avec les plantes, ma mère était une Guérisseuse réputée, répéter ses gestes experts me contraignaient à ne pas oublier. Me réconfortaient, aussi. Naturellement, je portais la même robe depuis le jour de mon départ, que je ne manquais pas de laver dans l’eau du lac dès qu’un rayon de soleil apparaissait derrière les nuages. Je n’avais plus aucune idée de mon aspect. Oh, j’étais coquette, à l’époque où je vivais en ville. J’aimais les robes, et les bijoux. Je confectionnais mes vêtements, et chaque jour, coiffais mes cheveux, pour le simple plaisirs de les voir refléter la lumière des torches de la maison, couleur cuivre, et m’enivrer de leur odeur de marguerite.

 

Cette vie, ce quotidien, alors, étaient derrière moi. Ma seule préoccupation, c’était de ne pas mourir de faim ou de froid. Pourquoi est-ce que je m’acharnais ainsi à aller contre mon destin ? Je ne savais pas. Un entêtement farouche, une volonté inébranlable que les miens ne fussent  pas morts pour rien. Continuer à vivre était le pire des châtiments. Une lame bien placée, une coupure bien nette, et j’aurais expié … Non. Je m’imposais de vivre.

 

Mes pieds nus foulaient le sol tapissé de feuilles mortes, ce jour-là. L’hiver approchait, et je venais de trouver une petite caverne à l’abri du vent. Ainsi, mon feu ne s’éteindrait pas. Je devais relever mes collets avant que les animaux ne partent hiberner. Elle était là, la difficulté de l’hiver. Aucun fruit ne poussait, les animaux dormaient. La nécessité de faire des provisions étaient grande. Vêtue de ma robe de lin clair, je n’étais pas très armée pour lutter contre le froid. Je gardais les fourrures des animaux que je tuais, et j’avais réussi à me confectionner un genre de capeline, en réunissant les lambeaux de peau avec du fil fabriqué à partir des boyaux des animaux. J’avais en tout et pour tout une gibecière, que j’avais réussi à prendre en m’enfuyant. C’était la gibecière de chasse de mon père. Elle ne  contenait sa dague et un peu d’argent, qui ne me serait guère utile.

La chasse fût bonne : dans plusieurs de mes collets, je trouvais des lapins, et même un ragondin. D’un coup sec, de la lame de ma dague, ils expiaient. Je prononçais pour leur âme une prière, que j’adressais à nos dieux, puissent-ils m’entendre. Ce n’était sans doute pas pour rien, que dans la langue des Anciens, Mira signifiait « Espoir ».

J’attachai leurs corps encore chauds dans mon dos, et glissai quelques champignons et baies dans ma gibecière. Quand la neige tomberait, je les plongerais dedans. Ainsi, ils se conserveraient, et je pourrais me nourrir tout l’hiver.

 

Au détour d’un sentier, je le trouvai. Et commença le premier jour du reste de ma vie.

 

Etendu sur les feuilles mortes, entre les racines d’un chêne centenaire. Je me cachai, croyant d’abord qu’il s’agissait d’un soldat de la garnison, toujours à mes trousses depuis deux ans. J’avais eu l’occasion de les voir à maintes reprises, mais je les repérais à des centaines de mètres. Leur uniforme écarlate n’était pas des plus discret, mais telles étaient les couleurs du Royaume de Logarià.

A survivre dans la forêt, on apprend à y vivre avec elle. On fait les mêmes bruits, on dort avec elle … et on sent ce qui n’y est pas bienvenu. Les Soldats de Logarià ne l’étaient pas … Mais les feux follets qui dansaient autour de lui, m’invitaient à m’approcher.

Les feux-follets, dans les croyances populaires, ces esprits qui perdent les hommes dans les bois profonds. Il n’en est rien. Les feux-follets protègent leur sanctuaire, n’y laissant pénétrer que les êtres suffisamment désintéressés pour ne pas en piller les ressources. Ils se présentaient comme des lueurs blanchâtres, apparaissaient et disparaissaient à leur gré. Mais jamais en vain.

 

Ils étaient de plus en plus nombreux. La clairière s’obscurcissait, il me faudrait rentrer avant la nuit, je n’avais pas de temps à perdre pour un promeneur. Mais les esprits  se multipliaient autour du corps, je m’approchai alors, saisissant ma dague par le manche. Je me déplaçais sans bruits, malgré la présence de végétaux morts et craquants sous mes pieds. Je m’approchai, et m’agenouillai. Il ne portait pas l’uniforme de la garnison. Il ne ressemblait pas aux hommes. Vêtu de noir, le corps longiligne, le visage aux traits réguliers. D’un doigt, j’effleurai l’os de sa mâchoire. L’odeur du sang sur ses vêtements ne me dérangeait pas. Je tournai son visage, et dégageait les cheveux qui étaient devant ses yeux. Ses yeux, qui s’ouvrirent.

Réagissant comme un chat sauvage, je brandis ma dague à deux mains. La respiration de l’individu était sifflante, je n’aurais pas de mal à l’occire. Non que j’aimais tuer … Mais je n’avais pas d’autres solutions pour garantir ma sauvegarde. Il parlerait, forcément, de « La Sorcière de la Forêt » si je venais à le laisser vivre.

Je levai ma dague, et l’abattit vers son cœur, frappant de toutes mes forces. Mais quelque-chose stoppa mon geste. La pointe de ma lame s’était arrêtée à 1 cm de son torse. Les feux tournaient autour de mes poignets, me brûlant. Je finis par lâcher ma lame, mais me postais au sol, le regard féroce, prête à bondir, bien que dans son état, il ne pourrait pas me faire grand mal.

Je restai ainsi aux aguets une bonne demi-heure. L’Inconnu ne bougeait plus, et ses yeux étaient de nouveau clos. Dans mon sursaut, j’avais cru voir qu’ils étaient noirs comme les ténèbres … mais j’en doutais, maintenant. Reprenant mon coutelas de la main gauche, je m’approchai et m’agenouillai près de lui à nouveau. Les feux follets dansaient et chantaient autour de lui. Quand je posai une main sur son poignet, ils virevoltèrent et partirent dans la direction du nord-est. Il ne m’en fallu alors pas plus pour comprendre : ils me conduiraient dans ma petite caverne que je ne pourrais retrouver maintenant que l’obscurité baignait les bois, qu’à condition d’emmener le blessé aux yeux noirs. Passablement contrariée, je le soulevai par le bras et fît reposer son poids sur mes épaules, afin qu’il puisse se tenir un minimum sur ses pieds, dans son état à demi-conscient, et nous suivîmes les esprits lumineux au cœur de la forêt dans une lente et bancale procession.

Jamais je n’aurais pu retrouver mon chemin seule. Mon hôte, que ses jambes soutenaient à peine, avait du mal à marcher, et le temps que nous mîmes à rejoindre la petite grotte dans laquelle j’avais élu domicile me parut bien trop long.

Je le laissai tomber sur le sol, parant tant bien que mal sa chute, et le couvrit de sa cape. Je m’occupai de raviver le feu, et pris place de nouveau à ses côtés. D’une main prudente, je tirai légèrement ses paupières pour inspecter ses prunelles. J’avais fait ce geste maintes et maintes fois quand j’assistais ma mère … mais jamais je n’avais vu de pareils iris, plus noirs que la nuit. Ne m’arrêtant pas à cette particularité, je continuais à inspecter son corps. Il saignait abondamment, en certains endroits. Je déchirai alors des pans de sa cape et les fît bouillir, sacrifiant ainsi une partie de ma réserve d’eau, pour en faire des pansements de fortune. La nuit était tombée, je ne pouvais guère faire plus pour le moment.

Je me roulai en boule dans ma capeline, et m’endormi, terrassée par les émotions de ce début de soirée.

Le lendemain, quand je m’éveillai, Lui n’avait pas changé de position. J’avalai quelques baies, et décidai de regarder si ses blessures s’étaient aggravées. Quelle ne fût pas ma surprise de constater alors que non seulement, ce n’était pas le cas, mais qu’en plus, certaines plaies étaient refermées et guéries ! Il y en avait, cependant, des profondes, qui ne guérissaient pas, et qui auraient besoin d’autre chose que de simples étoffes stérilisées avec les moyens du bord.

Pour soigner l’homme, je devais utiliser une méthode un peu plus particulière qu’une simple ingestion d’infusion de plantes. Je devais fabriquer un onguent, afin de l’appliquer sur ses plaies les plus ouvertes, qui ne guérissaient pas seules. Je savais que j’y parviendrai avec de l’argile que je trouverais près de la rivière, à trois kilomètres vers l’est.

Je chaussai mes bottes de fortunes, car le sol était froid, et jetais un dernier coup d’œil vers l’endormi, avant de quitter ma grotte. Je n’aurais pas dû me préoccuper de lui de cette manière, mais quelque-chose au fond de moi me disait qu’il ne s’était pas trouvé dans cette forêt par hasard, et que les feux follets se manifestaient à lui pour une raison bien particulière. Une raison que j’ignorais, comme j’ignorais que nos destins, bientôt, seraient liés à jamais.

 

Le matin était frais, le givre recouvrait la végétation morte au sol, je me lovai un peu plus dans ma capeline artisanale, et marchai les quelques kilomètres qui me séparaient de la rivière. L’Imbra traversait Logarià de part en part. Elle était difficilement navigable, en raison de son lit argileux et boueux. L’absence de gué praticable avait obligé les hommes à ériger des ponts pour la traverser, mais ces édifices étaient branlants, tant le sol était meuble. Il fallait les reconstruire régulièrement.

Une des Légendes des Anciens raconte qu’il y a 200 ans, les Hommes prièrent tant et tant pour la fertilité de leurs sols arides que les Dieux firent de l’Imbra une véritable source de vie, apportant une boue unique, riche, aux propriétés médicinales, un limon précieux, qui pouvait fortifier n’importe quelle plante. Mais avec le temps, les Hommes utilisaient moins leurs ressources naturelles, et la rivière bienfaitrice devenait une verrue naturelle, qui empêchait les hommes et les marchandises de circuler.

 

Mais je savais par ma mère, que l’Imbra me donnerait l’argile qui me permettrait, à partir d’une décoction de faire l’onguent qui guérirait mon hôte. Du moins, je l’espérais.

 

Au bout de quelques temps, je parvins au cours d’eau salvateur. Je retirai mes chaussons de fourrure et les mit dans ma gibecière, je m’enfonçais dans le sol jusqu’aux chevilles. L’air était imprégné de l’odeur de terre mouillée … J’étais au bon endroit. Je déchirai un pan de ma robe et l’humidifiai, avant de récolter la précieuse terre.

 

Eux, je ne les avais pas vus venir …

 

Je sentis qu’on agrippait mes cheveux, et qu’on me tira violemment en arrière. Des hommes à pied. L’uniforme rouge de la garnison. Ils m’avaient trouvée, au bout de deux ans de traque.

 

-La sorcière ! Nous la tenons ! Tu ensorcelais la rivière, n’est-ce pas ?

 

Ils me forcèrent à m’agenouiller dans la boue. Je refusais. Pas devant eux. L’un d’eux, alors, à l’aide d’un bâton, assena un violent coup derrière mes rotules pour me faire fléchir.

 

-Je préfère ça.

 

Le Soldat qui tenait mes cheveux m’obligea à tourner la tête de façons à ce que je regarde, dans les yeux, celui qui était leur chef. Un autre attachait mes poignets dans mon dos à l’aide de cordages de crin qui blessaient ma peau.

 

-Quels yeux horribles … et qu’est-ce qu’elle est sale ! Qu’est-ce qu’elle pue ! Il n’y a bien qu’un démon pour coucher avec ça !

 

Il m’empoigna par le cou, et me força à me lever.

 

-Sa Majesté sera ravie de notre prise du jour. Tu sais, ma jolie ? Il y aura une grande fête en ton honneur. Les gens viendront par centaines pour assister au Jugement de la Sorcière Mira. Et ils sont en colère, ma belle. Tu payeras pour toutes les calamités que tu as fait pleuvoir sur le Royaume ces deux dernières années.

 

Le Roi Brénas, le chef de tous les Logarians. Il présiderait le tribunal qui me condamnerait. Sa décision, et celle du peuple était prise depuis longtemps.

 

-Nous partons pour Merendis !

 

Et ils me tirèrent jusque dans les bois. Ma gibecière, contenant ma précieuse dague s’enfonçait dans la terre meuble. Le seul objet que j’avais conservé de mon foyer, se perdait.

Mes poignets étaient liés dans mon dos, mes bourreaux me tiraient sans ménagement, mes épaules étaient au supplice, j’étais obligée de marcher en arrière.

Au bout d’un quart d’heure, nous arrivâmes dans une clairière, où leurs chevaux étaient attachés. Celui qui me tirait m’attacha au pommeau de sa selle, tandis que tous remontaient sur leurs chevaux. Ils partirent à une cadence que je ne pouvais suivre. Mes pieds nus se blessaient sur les racines qui sortaient du sol. Ne pouvant voir où je marchais, je trébuchais régulièrement, mais mes assaillants ne se préoccupaient pas pour autant de savoir si j’étais capable de me relever. Chaque chute martyrisait mes épaules, qui supportaient le poids de mon corps. Dans une douleur et un craquement sinistre, je les sentis céder. La douleur me donna envie de vomir, ce que je fis, et je me laissai traîner jusqu’aux remparts de Merendis, la ville fortifiée, capitale de Logarià. Où j’avais vécu, petite fille. Où j’allais sûrement mourir.

 

Les soldats entrèrent, triomphants, dans le bourg. Moi, j’étais disloquée, écorchée … humiliée. Et depuis longtemps, j’avais perdu connaissance.

 

Quand je me réveillai, j’étais nue, dans une cellule des sous-sols du château, probablement. J’étais seule, si l’on omettait la présence du garde qui semblait être chargé du bon déroulement de ma période de captivité. Je me réveillai, et levai mon regard vers lui, il sursauta, et tourna la tête, comme si j’étais capable de le pétrifier d’un simple coup d’œil. Il sonna dans sa corne et trois femmes accoururent aux portes de ma cellule. Le garde, lui, partit sans demander son reste, après avoir ouvert ma porte. La plus âgée et la plus ronde des trois femmes entra dans ma cellule, et me retourna sur le dos. Je ne pouvais toujours pas lever mes bras, qui semblaient détachés de mon corps.

 

-Quel protocole idiot ! Sorcière ou pas, il n’était pas nécessaire de l’attacher … Personne ne peut s’enfuir dans son état. Déhlia … couvre-la. Elle a le droit d’avoir un peu de dignité.

 

La dénommée Déhlia s’approcha de manière farouche. Elle portait un linge de coton doux, et s’arrêtait à deux mètres de moi.

 

-Tu peux y aller, lui dit alors la première femme. Les sorcières, ne sont dangereuses que pour les hommes, tu ne crains rien.

 

Déhlia franchit alors les deux derniers mètres qui nous séparaient, et me couvrit de la douce étoffe qui sentait la bruyère. Elle me saisit alors, aidée de la troisième femme, elles me mirent sur mes jambes qui chancelaient sous le poids de mon corps mort. La première femme glissa une grosse main sous mon menton, et me força à relever la tête.

 

-Regardez toujours droit de devant vous, mon enfant. Vos parents ne sont pas morts de manière indigne. Faîtes-leur honneur.

 

Je la regardai dans les yeux, découvrant son visage. Mes prunelles se dilatèrent d’étonnement.

 

-Fé … Fénila … Dis-je avec difficulté.

 

Fénila avait été ma nourrice et préceptrice. La seule personne, en dehors de mes parents qui se soit occupé de moi quand j’étais enfant, et même après. Elle hocha la tête, et me couvrit la tête.

 

-Chut … M’intima-t-elle …

 

Et elles m’emmenèrent, en me guidant de leur voix. Je n’avais aucune idée de l’endroit où j’étais conduite, je ne connaissais pas les entrailles du château. Je sais simplement que nous montâmes plusieurs escaliers, et que nous parcourûmes de longs mètres de couloir. J’entendis une porte pivoter sur ses gonds, et nous pénétrâmes  dans une pièce, où mes guides me lâchèrent. Je m’effondrai sur le sol en un tas informe.

 

-Bélie ?

 

Ce que je supposai être la troisième personne qui était avec nous s’approcha de moi, et m’allongea contre le sol, sur le ventre. Je serais les dents. Je devinais ce qui allait suivre … la dénommée Bélie allait, par une manipulation, remboîter mes deux épaules. Je ne me trompai pas, et elle m’arracha deux cris de douleur. Au moins, je pouvais me mouvoir sans ressembler à un grotesque pantin. Bélie et Dhélia me firent alors rouler sur le dos et m’aidèrent à me relever.

Une fois debout, je pu observer que je me trouvais dans une salle d’eau aux grandes fenêtres. Il s’y trouvait une baignoire de pierre au centre, sous un puis de lumière. Des miroirs étaient disposés à divers endroits de la pièce, ainsi que des paniers contenant divers onguents, servant aux ablutions.

Les deux jeunes filles firent couler l’eau dans la baignoire, tandis que j’observais, dans la psyché la plus proche, le carnage de deux ans de fuite. J’étais sale. Ma peau était marron, et mes cheveux n’avaient aucun éclat. Et surtout … j’étais maigre. Je ne me reconnaissais pas.

L’odeur de l’essence de rose que Fénila versa dans le bain me prit à la gorge. Cette odeur ne signifiait qu’une seule chose : j’allais mourir ce soir. La rose était la Fleur des Sacrifiés.

 

Je fus baignée, frottée, rincée, frictionnée. Ma peau retrouva son aspect pêchu, mes cheveux, l’éclat du soleil couchant. J’étais toujours nue quand Fénila congédia les deux jeunes filles, Bélie et Dhélia. Après avoir fermé la porte derrière elles, elle me regarda, d’un regard triste, que je ne lui connaissais pas. Fénila. Ma nourrice, ma seconde maman. Je savais à quoi elle pensait … elle pensait qu’elle aurait dû préparer le jour de mon mariage, pas le jour de mon Sacrifice, mais le fait était qu’elle avait accepté cette mission. Et moi, j’étais heureuse qu’elle soit là, et pas une autre à sa place.

 

-Bélie et Dhélia sont filles de martyrs … m’expliqua-t-elle. Elles sont pupilles de notre Roi.

 

Je hochais la tête, mais je n’avais pas vraiment cure du sort des deux jeunes filles qui venaient de partir. Je regardais l’étoffe dans les bras de Fénila. Le linceul dans lequel je serais sacrifiée ce soir.

Pendant que je l’enfilais, Fénila m’expliqua.

 

-Tu seras conduite dans une autre cellule, deux heures durant pour prier. Ensuite, ce soir, tu seras jugée.

 

Sa voix était plate et morne. Elle m’énonçait le protocole. Mais quand elle s’approcha, je pus voir que sa lèvre supérieure tremblait. Elle retira de sa poche une médaille, qui pendait au bout d’une chaîne. Je reconnaissais, ce pendentif de platine, représentant un soleil au zénith … les femmes de ma famille se le transmettaient au moment de leur mort. Tandis qu’elle l’attachait à mon cou, les larmes roulaient sur mes joues. Je savais, pourtant, que ma mère était morte, mais la preuve concrète de son décès, qui pendait, maintenant, le long de ma gorge, me pesait encore plus que ma mort à venir.

 

-Fénila …

-Chut, Enfant. Reste digne …

 

Je devinais qu’elle ne pouvait faire preuve de plus d’effusion. Elle me banda les yeux, comme le voulait le protocole, et je fus conduite dans une autre pièce, seule. J’avais deux heures pour prier, et faire valoir mon âme aux dieux. Mais d’ici ma mort … je ne reverrai plus la lumière du jour.

 

Je fus conduite dans une toute petite pièce, sans fenêtre, du moins je crois. Le cliquetis d’une serrure m’indiqua que j’étais de nouveau enfermée. Je m’agenouillai alors, et plaça mes mains de chaque côté de mes genoux, à plat sur le sol, tête baissée, et me concentrai.

 

Dans un premier temps, mes songes allèrent à l’inconnu que j’avais trouvé dans la forêt. S’il ne s’était pas trouvé sur ma route … je ne serais pas au château, en attendant d’être humiliée, et massacrée. Des sacrifices, j’en avais déjà vu … je savais très bien ce qui m’attendrai ce soir. Et je ne pouvais plus y échapper. Au fond de moi, peut-être que j’avais accepté mon sort …

 

Je chassai vite l’Inconnu de mes pensées, et me força à me reconcentrer. Je priai le Dieu auquel je croyais depuis toujours.

 

Kael.

 

Kael. Dieu-Juge de tous les hommes en Logarià, roi de tous les vivants et de tous les morts. Je chantonnais la prière que depuis longtemps, j’avais préparée.

 

« La Rivière coule rouge

La Pluie tombe Sang

Que Le Jour de mon Jugement

Le Soleil Soit Rouge

Ainsi je te jure fidélité, dans ma vie et dans mon trépas. Je te fais don de mon corps, de mon sang, de mon cœur et de ma vie. Je te promets servitude et dévouement, jusqu’à ce que cette enveloppe charnelle devienne poussière. Je suis tienne. Je t’aime. »

 

 

Je répétais ces paroles avec passion. Je versais toute la foi de ma conviction dans ma prière. Quand soudain, la porte s’ouvrit. C’était l’heure.

 

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